Lena rêve de rêver. Cette étudiante de lettres modernes va, de job aliénant en job aliénant, afin de financer des études dont elle ignore la finalité.

En pleines manifestations anti-CPE, sans repères dans une société qu’elle abhorre, Lena voit tout : sa bande d’amis paumés, Béatrice la SDF, Loïc le lanceur de pierres et aussi Sébastien l’Anonyme, le voisin du dessus qui s’est défenestré. Jusqu’au jour où Lena arrête de regarder et décide d’agir.

Il-Vous-Faudra-Nous-Tuer

Natacha BOUSSAA

Il vous faudra nous tuer

Edition Denoël, 19 août 2010, 174 pages, 16€

En vente sur Amazon

Dans ce premier roman sans introduction, peut-être parce qu’il constitue en lui-même le véritable commencement de Lena, Natacha BOUSSAA use d’un style vif pour jeter le lecteur immédiatement au coeur de l’action.

Sous sa plume, la lutte des classes devient tridimensionnelle avec un nouveau parti, la classe moyenne, et la résistance ne peut se faire que par la marginalisation et la violence. Si l’on adhère pas forcément au principe on peut cependant apprécier le ton percutant et la fluidité de la narration.

Portrait actuel d’une jeunesse française qui ne sait pas très bien ce qu’elle veut mais est sûre de ce qu’elle ne veut plus, Il vous faudra nous tuer est un roman âpre, remuant, dérangeant.

Boussaa-Natacha

Morceau choisi :

« Faux sourires. Fausse politesse. Faux intérêt pour tout ce qui s’agite devant mes yeux. Combien de temps encore? Sur le cadran inflexible, les aiguilles ciblent l’ennui. Pourvu qu’on ne me demande plus rien. Attifée en hôtesse, je crève derrière le comptoir de réception d’un building de verre. J’accueille les visiteurs, comme si l’on pouvait encore être accueilli quelque part. »

Bonjour Mademoiselle BOUSSAA, je vous remercie de vous prêter à cette interview spécialement pour Secrets de Filles.

Pouvez-vous en premier lieu vous présenter ?

Natacha BOUSSAA : « Il vous faudra nous tuer » est mon premier roman publié. J’ai écris d’autres textes avant celui-là que, pour la plupart, je n’ai pas proposés à des éditeurs, mais celui-là, je tenais particulièrement à sa publication. Et j’ai bien fait d’attendre : Denoël est une très belle maison d’édition et les nombreuses réactions positives de mes lecteurs m’ont donné raison.

Il vous faudra nous tuer est votre premier roman. Vous rappelez-vous du premier roman que vous avez lu  et de ce qu’il vous a inspiré ?

Natacha BOUSSAA : Il y a un premier roman pour chaque étape de notre vie de lecteur. C’est ainsi que l’on passe de « Oui-Oui au pays des jouets », aux « Petites filles modèles », puis pour moi il y a eu « Le Grand Meaulnes », puis « Le Diable au corps », puis « Madame Bovary », puis « Le Château », puis « À la recherche du temps perdu ».

Chacun de ces romans, je les qualifie de « premier » car ils ont tous ouvert un espace pour une quantité d’autres romans à lire jusqu’à l’étape suivante. Chaque étape vous permet de grandir et de vous tenir un peu plus debout sur vos jambes. La littérature ne sert qu’à ça : vous donner une colonne vertébrale, pour vous permettre de vous tenir debout et de marcher.

Votre roman est contemporain, le changement, l’évolution, le progrès comptent parmi ses thèmes principaux. Pourquoi en ce cas avoir choisi de vous référer à un auteur assez classique pour la sélection de votre titre qui, rappelons le, est une référence directe à CHATEAUBRIAND ?

Natacha BOUSSAA : Parce que la littérature, et l’art en général, sont éternels, bien que paradoxalement faits par des hommes qui vont mourir. Quel que soit leur pays ou leur époque, ces hommes se sont interrogés, ont cru, ont aimé, se sont trompés.

C’est pourquoi ils parviennent à nous parler alors qu’ils sont parfois à des millénaires de distance. On peut, en 2010, être touché par un vers de Du Bellay ou une sculpture en terre cuite du IVème siècle avant JC. Depuis les origines de l’art, chaque artiste de chaque époque participe à cette discussion qui ne s’achèvera qu’avec la fin du monde : que faisons-nous ici, et comment exister ?

Quant au cas précis de Chateaubriand, ses « Mémoires d’Outre-tombe » nous racontent tout ce qui a fondé le XIXème siècle, toutes les étapes traversées par la France : la Monarchie, la Révolution, la République, l’Empire, la Restauration, la Monarchie de Juillet.

C’est intéressant car nous sommes aujourd’hui en France, en 2010, dans un monde né au XIXème siècle. L’histoire, la littérature et l’art nous permettent de comprendre où nous en sommes. Si vous voulez une société perdue, abêtie et corvéable : empêchez-la de s’intéresser à ce qui s’est passé avant elle.

Vous partagez avec votre personnage principal des études de lettres modernes, une présence aux manifestations anti-CPE et vous avez également été confrontée au suicide d’un voisin. Vous rejetez pourtant toute intention autobiographique. A quel point vos expériences personnelles ont-t-elles servi de support à votre fiction ?

Natacha BOUSSAA : « Il vous faudra nous tuer » n’est pas une autobiographie, c’est un roman : je n’y raconte pas ma vie. Pour moi, le monde est un puzzle, apparemment sans logique.

L’écrivain se sert de sa subjectivité dans le but de proposer une lecture du monde. Écrire un roman, c’est mettre ensemble une réalité que l’on a observée et qui nous pose question, des sensations que l’on a éprouvées et qui nous interrogent et toute une construction de personnages et de situations fictifs servant au mieux notre tentative de réponse.

Secrets de Filles s’adresse par essence à un public plutôt féminin. Comment décririez-vous vos personnages féminins leurs aspirations et leur symbolique au sein de votre roman ?

Natacha BOUSSAA : Lena, mon personnage principal, est une fille. Ras-le bol des personnages féminins qui sont des faire-valoir des hommes ! J’ai grandi avec toute une littérature faite par des auteurs masculins pour qui les femmes étaient soit des êtres fragiles à protéger, soit des perverses qui les faisaient souffrir, ou encore des filles sans cervelle qui ne se posaient aucune question.

Je voulais un personnage féminin moderne, fort, à l’image des filles d’aujourd’hui : indépendante, passionnée, « jusqu’au-boutiste », qui s’interroge sur sa place dans le monde et la société, qui vit et trace sa route dans un monde sans repère, qui construit sa vie, ses amours, son parcours, au milieu de toutes les valeurs qui se sont effondrées.

J’ai l’impression d’y être parvenue, car autant de filles que de garçons se reconnaissent dans ce personnage.

A travers Il vous faudra nous tuer, quel(s) message(s) souhaitez vous faire passer ?

Natacha BOUSSAA : Ne pas se résigner, quoi qu’il arrive. Ne pas baisser les bras, se battre coûte que coûte pour ce que l’on croit. J’ai voulu transmettre de l’énergie à mes lecteurs. La société contemporaine nous condamne trop souvent à l’abattement, à la morosité, à l’impuissance. Je voulais écrire un texte qui donne envie de se battre. La littérature est là pour nous faire réfléchir et nous remettre sur pied.

Vous avez participé au salon du livre, comment s’est déroulée cette première rencontre avec les lecteurs, avez vous eu l’impression d’être parvenue à faire comprendre votre pensée ?

Natacha BOUSSAA : J’ai participé à plusieurs salons du livre depuis la sortie de ce roman, ainsi qu’à plusieurs débats. Et c’est un grand bonheur de pouvoir rencontrer ses lecteurs, de même qu’avec mon site ou facebook, les lecteurs peuvent me contacter et me faire part de leur lecture. Lorsque l’on écrit et que l’on destine son texte à la publication, on entame un dialogue avec un autre, un lecteur, que l’on ne connaît pas, mais qui pourrait devenir notre ami.

Lorsque le lecteur revient vers nous, alors le dialogue peut vraiment commencer et le lien se créer. Ce qui tue aujourd’hui dans les sociétés modernes, c’est la solitude, bien plus que n’importe quelle maladie. Malgré des moyens de communication accrus, les individus vivent de plus en plus séparés les uns des autres. La littérature est une manière de recréer ce lien brisé.

J’ai crû comprendre qu’une pièce de théâtre et un second roman étaient en cours d’écriture, pouvez vous nous en dire un peu plus ?

Natach BOUSSAA : On ne peut jamais parler de ce que l’on écrit, avant d’avoir achevé le travail, parce que l’on ne sait jamais si l’on ira jusqu’au bout. C’est ce qui est excitant avec l’écriture. Mais j’ai hâte de voir ces textes apparaître dans leur entier. Un texte, c’est comme un corps : au moment où on l’écrit, on en a une vision très fragmentaire, on en compose un bras, une jambe.

Même si l’on sait où on va, ce n’est qu’en en achevant l’écriture, que le corps est là en entier, composé, un, devant vous. Vous êtes comme le docteur Frankenstein : vous savez en finissant si vous avez réussi à faire quelque chose, à créer quelqu’un qui sera capable de se mouvoir et de marcher, sans vous, dans le monde.